La place du carbone dans le futur
Carbone, carbone, pourquoi parle-t-on toujours du carbone?
On entend beaucoup ces termes quand on parle du climat du futur ou du besoin de « décarboner » nos vies et nos entreprises : carbone, CO2, gaz à effet de serre, énergies fossiles, changements climatiques, crédits carbone, carboneutralité, etc., mais c’est quoi au juste tout ça et comment est-ce relié?
Les gaz à effet de serre et les changements climatiques
Les rayons infrarouges (la chaleur) du soleil sont en partie absorbés par les diverses surfaces de la Terre, retenus dans l’atmosphère et reflétés dans l’espace. Or, les gaz à effet de serre (GES) de nature anthropique (c.-à-d. causés par les activités humaines) retiennent une plus grande partie de la chaleur dans l’atmosphère. Ils sont l’équivalent d’un édredon qui épaissit à mesure que les GES s’accumulent dans l’atmosphère : c’est l’effet de serre.
Certains GES, comme la vapeur d’eau, font partie des cycles naturels et maintiennent le climat à un niveau confortable ou habituel. Cependant, l’utilisation des énergies fossiles ajoute des couches supplémentaires à l’édredon. En brûlant du gaz naturel, du pétrole, du charbon (qui sont de longues chaînes de carbone et d’autres éléments chimiques qui proviennent de la décomposition de plantes, d’animaux et autres organismes vivants il y a des milliers ou millions d’années), on retire des éléments fossilisés qui étaient séquestrés sous la croûte terrestre. Leur combustion émet l’énergie nécessaire à nos activités mais aussi divers gaz ainsi relâchés dans l’atmosphère qui ne s’y seraient pas retrouvés autrement, voir naturellement.
Le gaz carbonique, dioxyde de carbone, ou CO2 (tous représentant la même chose) constitue environ 75% des GES produits par nos activités. On peut estimer et mesurer quelles étaient les concentrations de CO2 à diverses époques de la Terre à l’aide des archives géologiques et glacières notamment et l’on observe que la concentration de ce gaz s’est élevée tranquillement à partir de la Révolution industrielle autour des années 1760. Le rythme s’est grandement accéléré avec l’explosion manufacturière et démographique du début du XXe siècle et la prise de mesures directes du CO2 dans l’atmosphère a commencé et dure depuis les années 60 (Figure 1). L’ensemble des données de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (ou NAOO en anglais) est disponible en ligne https://gml.noaa.gov/ccgg/trends/mlo.html et montre bien la constante augmentation du dioxyde de carbone (malgré les variations saisonnières naturelles dues à l’arrêt hivernale de la photosynthèse en milieu nordique).
Fig.1. Concentration de CO2 atmosphérique en partie par million (ppm), a) depuis les années 60 et b) au cours des 4 dernières années. On constate la variation saisonnière naturelle des moyennes (en rouge) mais aussi leur constante augmentation (valeur corrigée selon cycle saisonnier en noir). En juin 2024, la concentration moyenne à l’observatoire de Mauna loa à Hawaï était de 426.91 ppm.
Plus de GES émis signifie plus d’énergie thermique retenue dans le système atmosphérique, ce qui résulte en une expansion des masses d’air et des masses d’eaux et donc des déplacements de courants atmosphériques et marins. Cela signifie la montée du niveau de la mer, plus de vents, de tornades, de pluie par endroit et de sécheresse à d’autres; bref, plus de variabilité et d’imprévisibilité. Le climat est bouleversé : ce sont les changements climatiques.
Le marché du carbone et la décarbonation
Les besoins en énergie toujours grandissants de l’humanité pour augmenter ou assurer des niveaux de vie acceptables pour tous et la réalisation des conséquences climatiques potentielles à l’échelle mondiale, font en sortes qu’on a vu apparaître diverses rencontres, ententes, stratégies tels : la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) sur les changements climatiques-1992 menant aux Conférence des parties (COP) pour le climat depuis 1995, le Protocole de Kyoto-1997, l’Accord de Paris-2015, etc., afin de réduire les émissions de GES (surtout des pays riches et industrialisés) : c’est la décarbonation[1]. Pour inciter les grands émetteurs (mais pas seulement) à consentir les efforts nécessaires, les gouvernements ont mis en place deux types de mécanismes, la taxe carbone (où un montant est payé selon diverses modalité pour des tonnes de GES émises et l’argent redistribué aux citoyens ou encore attribué au développement de solutions technologiques ou d’adaptation aux changements climatiques) et la bourse ou marché du carbone.
Afin de réduire leur empreinte carbone (quantité de gaz à effet de serre relâchée dans l’atmosphère à cause d’une ou d’un ensemble d’activités), différentes stratégies sont envisagées par les émetteurs, telles que tourner l’économie vers les énergies renouvelables afin de remplacer les énergies fossiles (ex : changer son système de chauffage au mazout pour de l’hydroélecticité). Lorsque c’est impossible de complètement se débarrasser des énergies qui émettent du CO2, on essaie soit de le capter, de le transformer en d’autres produits utiles, de le neutraliser sous forme minérale[2] ou de le séquestrer sous terre (qu’on appelle la capture et séquestration du carbone ou encore la captation, capture et utilisation du carbone). Si là encore, ce n’est pas possible, non rentable ou que la technologie n’est pas au point, alors on choisit de compenser les émissions de GES.
Divers marchés du carbone ont vu le jour afin d’y échanger des crédits carbone où les émetteurs (individus, institutions, entreprises) qui ne peuvent éliminer ou réduire complètement leurs émissions les compensent en achetant à d’autres des tonnes de CO2 équivalents[3] qu’ils ont « mis en banque » si l’on veut. Ces crédits peuvent être générés à l’aide de phénomènes naturels (on dit alors « basés sur la nature ») ou de diverses technologies. Par exemple on sait que via la photosynthèse, les végétaux captent le CO2 de l’atmosphère et séquestrent ensuite le carbone, d’où l’idée de planter des arbres[4] ou de cultiver des algues (telles les laminaires[5] qui longent le fleuve) à grande échelle. Malgré leur potentiel, les projets technologiques d’ingénierie coûtent très chers (jusqu’à plusieurs centaines voire milliers de dollars par tonne captée) surtout comparativement à ceux basés sur la nature mais ils font parties d’une panoplie de solutions qui doivent être mises en place afin de stopper les changements climatiques et leurs effets néfastes.
La décarbonation devrait donc être un objectif commun des gouvernements, entreprises et individus où l’évitement et la réduction d’émissions de GES sont priorisés mais ce n’est pas ce qui est observé[6]. Pour atteindre la carboneutralité en 2050 – qui sous-entend que l’équivalent CO2 de tous les GES encore émis dans l’année est capté de via la nature ou la technologie et donc qu’au bilan net il n’y a pas plus de GES dans l’atmosphère que l’année précédente – des projets ambitieux et des mesures plus drastiques devront être mis de l’avant rapidement. Il faut aussi penser plus globalement, ce que nous émettons peut voyager à des milliers de kilomètres dans notre atmosphère commune et y rester des centaines d’années, affectant les générations futures.
L’acceptabilité sociale d’un projet devrait en tenir compte et tout comme il faut être prudent et ne pas accepter n’importe quoi, il faut aussi réaliser que des désagréments locaux peuvent être synonymes de réels bénéfices climatiques globalement, pour tous. Au final, il n’y a pas de solution facile ni magique et qu’on le veuille ou non, nous sommes tous impliqués dans cette course contre la montre pour réduire les impacts des changements climatiques : augmentation de la fréquence et de l’intensité des désastres naturels, changements dans les cultures agricoles ou aquacoles, de leurs maladies et parasites, impacts sur les chaînes d’approvisionnement, l’assurabilité, la santé humaine, la biodiversité… Alouette!
Sylvie Bouchard, PhD, biologiste
Coordonnatrice à la recherche Carbone boréal et Chaire en éco-conseil, UQAC
Révision
Hélène Côté, Éco-conseillère diplômée, MSc, ing.,
Coordonnatrice à la recherche Chaire en éco-conseil, UQAC
- [1] Pour les entreprises, le guide « Décarbonation et atteinte de la neutralité carbone en entreprise » a été développé en 2023 par le Conseil patronal de l’environnement du Québec (CPEQ) et est disponible sur leur site (https://www.cpeq.org/fr/information-et-outils/la-decarbonation-et-latteinte-de-la-carboneutralite-en-entreprise)
- [2] Le Québec a un bon potentiel pour ce type de projet à cause de sa grille énergétique renouvelable et son sous-sol géologique favorable.
- [3] Comme le CO2 est le principal gaz responsable des changements climatiques, on transforme les émissions d’autres GES (comme le méthane – CH4) en équivalent CO2 selon leur pouvoir réchauffant respectif. Ex) 1 tonne de CH4 = 28 tonnes de CO2 équivalents (ou tCO2éq.).
- [4] Comme le fait Carbone boréal de l’UQAC (carboneboreal.uqac.ca) qui est à la fois un programme de compensation d’émissions de GES et une infrastructure de recherche où les arbres plantés sont aussi utilisés pour étudier la participation des forêts dans la lutte aux changements climatiques.
- [5] Ces dernières démontrent d’ailleurs un haut potentiel de capture du CO2et le nombre de projets et crédits qui y sont associés devraient croître dans les prochaines années.
- [6] Voir la Figure 1 ou le rapport 2023 des Nations-Unies : https://www.unep.org/fr/resources/rapport-2023-sur-lecart-entre-les-besoins-et-les-perspectives-en-matiere-de-reduction-des